NIFFF 2016, jour 1: choc culturel (Miruthan, Shakti Soundar Rajan)

Lundi 3 juillet 2016, c’est l’été, le moment de profiter des salles de cinéma de Neuchâtel. Pour ma première visite au NIFFF, je commence par Miruthan, film de zombies indien signé Shakti Soundar Rajan. Un virus terrorisant Coimbatore, un flic qui part à la recherche de sa petite sœur disparue, le tout sélectionné en compétition : sur le papier, ça promet. J’y vais en espérant glaner une réponse à une question aussi profonde qu’essentielle : comment l’industrie du cinéma du sous-continent a-t-elle digéré la thématique de l’après-apocalypse ? Disons que le bilan a été pour le moins mitigé, tant la distance culturelle ne facilite pas le travail de spectateur. Du coup, le plus intéressant s’est joué dans les réactions de la salle, occasion d’une petite anthropologie expresse du spectateur de cinéma. Ci-dessous les détails du choc culturel.

Au cœur d’un petit quart d’heure de mise en place narrative, premier choc : le héros croise le regard d’une belle, tombe amoureux raide dingue, et là… Et là, propulsé sur une scène, encadré par des danseurs en furie, l’acteur entame une chanson d’amour endiablée au son des boites à rythme et des guitares saturées. Devant tant de mal infligé au cinéma et à la musique tout à la fois, de la salle ont fusé des salves de rires sonores et appuyés. Discrets jusque-là, ces éclats n’ont plus cessé ensuite, redoublant à chaque rebondissement un peu trop énorme, à chaque coup de ventilateur dans les cheveux de l’actrice principale.

Mais d’abord, attention à ne pas confondre. Le cinéma hindi vient de Bollywood, c’est-à-dire de Bombay. Les hommes y sont musclés mais raffinés, les femmes y sont grandes, fines, parfois Miss Monde, et souvent cantonnées à des rôles d’objets sexuels plutôt consentants. Le cinéma tamoul sort lui des studios de Kollywood, du nom d’un quartier de Chennai, Kodambakkam. La moustache y règne sans partage : les hommes y montrent leurs muscles et leurs poils. Pas d’inquiétude, les femmes restent des potiches, mais avec quelques rondeurs. Mis à part ces différences cruciales, l’esthétique correspond bien à l’image d’Épinal du film indien mainstream – voir mon texte sur Mary Kom. De l’action, de la romance et, surtout, des chansons.

Pour autant, faut-il tout jeter dans Miruthan ? Sans doute pas. L’infection zombie sert de prétexte à d’interminables scènes d’action et à une histoire d’amour grotesque, c’est vrai. Mais elle permet aussi, par petites touches, de parler de la corruption et de l’individualisme des élites indiennes et de l’omniprésence de la consommation de masse – inévitable clin d’œil à Romero à la clé.

Reste l’enjeu de savoir à quoi tient notre difficulté à supporter les tics de mise en scène et les grosses ficelles scénaristiques en provenance d'Inde. À une logique commerciale poussée à outrance, où toute vraisemblance cède devant le spectacle et le bling-bling ? Ou à une distance culturelle qui fait que nous nous sommes habitués à une production hollywoodienne pas toujours beaucoup plus finaude, mais autrement ? Sans doute un peu des deux, et il faut trouver un chemin étroit entre relativisme culturel et ethnocentrisme, au cinéma comme ailleurs.

En l’occurrence, dès les premiers plans, une bonne partie de la salle avait choisi son camp, jouant à celui ou celle qui rirait le plus fort à la moindre indianité manifeste. J’ai ainsi pu assisté à un beau mouvement collectif de cohésion du groupe par la mise à distance de l’Autre. Rire le plus fort possible, voire commenter les scènes un peu too much, c’était le plus sûr moyen de montrer qu’on faisait partie d'un Nous construit d'abord en opposition avec un Eux.

Pas de quoi se réjouir, mais c'est pas une raison pour aller voir Miruthan non plus.

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