Locarno 2016, Jours 0 & 1: Pluie d'insultes sur la Piazza Grande

Locarno film festival 2016
A la sérénité d'une traversée ferroviaire des paysages mythico-bucoliques de la Suisse primitive, renforcée par le plaisir coupable de la contemplation des hordes d'automobilistes pris dans quelques kilomètres de bouchons à l'entrée du Ghotard (et donc aussi à la sortie, niark), a succédé un atterrissage mouvementé sur la Piazza Grande. Dans le jeu injuste des bonnes et moins bonnes places sous les étoiles du Tessin, rendu complexe par l'interdiction plus ou moins explicite et plus ou moins respectée de réserver des sièges à ses ami-e-s, ce n'est pas un orage qui m'est tombé sur la tête mais une averse d'injures, noms d'oiseaux éructés en allemand, italien et anglais par un spectateur très fâché. Passé ce déluge, le spectacle a pu commencer.

Le ciel attendra
Premier film, premier choc. Sur un sujet particulièrement casse-gueule Marie-Castille Mention-Schaar fait preuve d'une belle empathie pour saisir les mécanismes de la radicalisation. Forcément trop rapide, l'analyse de la fragilité adolescente et de la séduction exercée par la propagande djihadiste sur des jeunes en manque de repères vise quand même juste. La réussite du film doit aussi beaucoup à Dounia Bouzar en superstar dans son propre rôle de désenvoûteuse - parce que c'est bien un peu de ça qu'il s'agit - et au casting trois étoiles de parents débordés par la dérive de leur progéniture.

Et ce n'est pas le moindre intérêt du film d'avoir choisi de se focaliser sur deux adolescentEs. Car dans le monde merveilleux du recrutement sectaire, les filles subissent une double peine: au lavage de cerveau idéologique s'ajoute une exigence de soumission, en échange de fausses promesses de sécurité affective.

J'ai risqué une analyse un peu plus fouillée des implications spatiales de la séduction exercée par l’État islamique sur des jeunes "bien de chez nous" et ne présentant pas, a priori, un profil de futur tueuses de masse. C'est sur le blog de Libération "Géographies en mouvement", c'est-à-dire ici-même.

Der traumhafte Weg
Le lendemain, plongée dans la compétition, avec deux films très festival-compatibles. L'Allemande Angela Schanelec propose, dans Der traumhafte Weg (Concorso Internazionale) un cinéma épuré, où le langage visuel supplée des dialogues pour le moins embryonnaires. Projet difficile à contester, dont émergent quelques beaux moments. Mais, de l'histoire d'amour entre Theres et Kenneth sous le soleil grec des années 1980, au divorce d'Ariane et David dans le Berlin contemporain, il faut avouer qu'on se perd parfois dans ce qui confine vite à un jeu de piste incompréhensible. La salle de presse a résonné des bâillements et soupirs appuyés de quelques critiques satisfaits d'eux-mêmes, et s'est vidée à un rythme régulier, 1h26 durant.

Viejo Calavera
Pas beaucoup plus bavard, mais pas pour les mêmes raisons, le premier long métrage de Kiro Russo offre une descente, au sens propre, dans les mines boliviennes. Sorte de version terrifiante des Temps modernes, Viejo Calavera travaille le son et l'image pour rendre compte de l'épreuve quotidienne qu'endurent les mineurs dans les méandres sans fin d'où ils extraient le charbon. On déconseille l'expérience, faite de vacarme et d'obscurité, aux claustrophobes. Mais elle rappellera aux autres que la croissance mondiale ne sort pas de nulle part. Et que le cinéma est là pour révéler ces lieux qu'on oublie facilement quand on est suffisamment loin.

Locarno film festival


A suivre un jour 2 très mondial et toujours pas très optimiste, entre le Japon, la Bulgarie et l'Italie.

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