Locarno 2014 - Jour 1: La chasse au Léopard est ouverte

Locarno se mérite. Depuis Domodossola, le courageux cinéphile doit grimper dans le Centovalli Express, train d’une lenteur inégalable mais aux vitres panoramiques permettant de contempler les paysages du Val Vigezzo puis de la vallée de Centovalli, faits de verts pâturages, de villages pittoresques et, last but not least, d’une nature transparente et éternelle – si j’en crois le dépliant de mon voisin suisse-allemand parti à l’assaut des Alpes avec son méga zoom. Après deux sinueuses heures, Locarno, enfin, parée de noir et d’or dès la gare. Le temps de courir sous la pluie – à Locarno en août, il pleut, sauf sur Luc Besson : les voix du Seigneur sont impénétrables –, manger une pizza en caoutchouc en écoutant un orchestre de jazz massacrer The Work Song, de se munir d’un badge de chasseur accrédité, et en route pour le safari, les léopards n’ont qu’à bien se tenir.

Premier gibier féroce. A Blast (Concorso internationale), du réalisateur grec Syllas Tzoumerkas, montre un pays embarqué dans un cercle vicieux où les problèmes génèrent des problèmes, la peur de la peur, la violence de la violence. Maria découvre, à l’approche de la trentaine, que se marier à un marin – se rappeler le rôle des armateurs dans la crise grecque – et lui faire trois gosses n’était pas la vie dont elle rêvait, que son beau-frère frustré fricote avec les fascistes d’Aube dorée quand il ne tape pas sur sa sœur, et que la boutique de ses parents a malencontreusement oublié de régler quelques dizaines de milliers d’euros d’impôts. C’est en elle que la violence – celle faite aux femmes, celle faite aux immigrés, boucs-émissaires commodes, celle faite à une génération entière à laquelle on demande de payer pour des erreurs qu’elle n’a pas commises – va germer, grandir, jusqu’à un résultat aux airs d’It’s a Free World méditerranéen. Film choc, dérangeant sur le fond comme sur la forme, avec son montage alambiqué et sa violence, A Blast tire sans concession le portrait d’un pays à la dérive, où chacun tente de s’en sortir et d'envoyer au diable ses débiteurs, pour certains à n’importe quel prix.


Plus optimiste ou, du moins, plus festif mais pas moins lucide, Los Hongos (Cineasti del Presente) suit deux adolescents colombiens passant leurs nuits à couvrir les murs de Cali de graffitis, seuls ou en compagnie d’une joyeuse faune d’artistes de rues en résistance contre Babylone. De fresques nocturnes en concerts alternatifs, de vols de seaux de peinture en rencontres avec une police pas convaincue par le street art et aux méthodes un peu raides, d’amours débutantes en conflits avec l’autorité parentale, le tout sur fond de campagne pour la mairie entre candidats plus ou moins corrompus, le jeune réalisateur Oscar Ruiz Navia livre un film plein de couleurs, de musiques et d'espoir. Il nous fait entrevoir des espaces de liberté dans la ville et des modes réjouissants de réappropriation de l’espace public, dans un pays que la figure autoritaire et nationaliste d’Uribe n’en finit plus de tenir au pas.

Troisième proie un peu tendre, avec le retour à Locarno du Nord-américain Joel Potrykus, toujours dans la catégorie Cineasti del Presente. En 2012, Ape, drôle de variation jarmushienne tendance absurde, pessimiste et quasi-fantastique sur l’ennui, la lose et le refus désespéré de l’autorité, déjà avec Joshua Burge dans le premier rôle, avait quelque chose d’assez séduisant, dans le style film-indépendant-fauché-et-sympa, quoiqu’inabouti. Difficile de dire s’il y a vraiment du nouveau dans Buzzard, certes plus écrit – avec à la clé quelques scènes hilarantes – et reproduisant en l’enrichissant le même univers de masques, de cinéphilie décalée et d’urbanité éraflée dans un Michigan en crise. Un drôle d’objet séduisant-déroutant, parfaitement à sa place dans un festival et plus encore dans une sélection ouverte aux jeunes réalisateurs émergents.

Plus de gibier demain.

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