"Le Hobbit : un voyage inattendu", P. Jackson

Séquence nostalgie de ce blog irrécupérablement narcissique : quand j'étais petit - il y a quelques années, donc - mon instituteur de CE1, Jean-Marc, qu'il en soit ici très solennellement remercié, a fait lire à sa classe une version simplifiée et illustrée par lui de Bilbo le Hobbit, de Tolkien. Les relectures suivantes et la découverte de l’œuvre colossale du linguiste-conteur-démiurge britannique n'y ont rien fait, une scène est restée, très au-dessus de toutes les autres : la rencontre avec Gollum, créature répugnante et pitoyable errant dans les tréfonds des Misty Mountains, où elle soliloque entre deux bouchées de poisson visqueux ou de gobelin égaré, occasion d'un concours de devinettes avec la vie de Bilbo comme enjeu. Peter Jackson n'a compris que ça, mais l'a bien compris : il ne fallait pas se louper pour ce moment de doux traumatisme (qui est aussi celui où Bilbo découvre le fameux anneau qui va plus tard décider du sort de la Terre du Milieu, ce dont on se fout royalement à ce stade). La scène est énorme, jouée à la perfection par Martin Freeman et Andy Serkis et filmée au millimètre par le réalisateur de Braindead (son meilleur film ?!). Elle rattrape une heure et demie de semi-ennui, d'hésitations, et lance la fin relativement réussie de ce premier volet de la trilogie.

Trilogie, c'est sans doute là l'erreur irréparable - qui devrait certes rapporter gros à la MGM - alors que moitié moins long aurait largement suffi : fi des scènes interminables dans la très belle mais très inintéressante Rivendell abritant de gentils elfes, fi des commentaires pompeux sur le courage et l'amitié, fi des regards vers l'horizon de Thorin, le prince nain qui se prend un brin au sérieux.

Jackson a-t-il voulu faire long ou le lui a-t-on demandé ? Toujours est-il qu'il ajoute des personnages et des scènes puisés dans l'univers foisonnant de Tolkien, alors que Bilbo, d'abord et surtout un (superbe) conte initiatique pour enfants de tous âges, se suffit à lui-même et n'a pas besoin de rameuter toute la Terre du Milieu pour faire rêver. Au lieu de la légèreté du livre, le scénario - commencé par Guillermo del Toro, engagé comme réalisateur mais qui a préféré abandonner le navire en cours de traversée - charge à bloc, joue la carte de l'épopée et, en dépit de quelques moments réussis, tombe bruyamment à plat. Or un conte n'est pas une épopée, fatal contre-sens, conséquence probable d'une épidémie d'auto-prise au sérieux, de grandiloquence à tout crin et de rage pompiériste qui ravage Hollywood ces dernières années (entre autres nombreuses victimes du virus, citons Cameron depuis Titanic, Nolan depuis toujours ou presque, maintenant Jackson... et on attend fébrilement le prochain Paul Thomas Anderson, à qui a été diagnostiqué un terrain prédestiné).


Snif, que reste-t-il de l'aventure de mes sept ans ? Il reste tout de même ce qui faisait la réussite de l'adaptation du Seigneur des Anneaux, surtout le premier tome du triptyque : au-delà du discours écolo lénifiant - vive les vertes prairies et mort à l'industrie toute puissante qui s'abat sur le monde bucolique des gentils hobbits et leurs trous où il fait bon vivre en fumant la pipe - Jackson a le don de trouver les paysages justes, à défaut des mots, pour faire vivre l'imaginaire de Tolkien et ajouter une troisième dimension aux cartes du "seigneur des points cardinaux". Pas de finesse ici, mais on aurait tort d'en réclamer : les prés, les champs, les arbres et de jolis cours d'eau et torrents d'un côté ; de l'autre les montagnes, les souterrains, la pierre et le métal, inquiétants mais qu'il faut affronter pour devenir un homme. Au milieu de ces immensités, treize nains et un hobbit lancés dans une aventure invraisemblable, se frottant au "milieu" (et à ses profondeurs) comme les cow-boys de John Ford au désert. De quoi donner envie de se laisser porter une nouvelle fois par le livre... mais pas forcément d'aller au cinéma fin 2013.

Il fallait choisir, mister Jackson : soit rester un grand enfant - position très défendable -, soit faire du vrai cinéma pour les grands. Entre les deux, un gouffre profond comme les mines d'Erebor.

Plouf.

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