Fribourg 2016, jour 1 (partie 1): Festival international des femmes fortes

Début des hostilités, entre une compétition faisant la part belle aux héroïnes et au réalisatrices, une section dédiée aux femmes féroces, et un mot-clé dans la bouche du staff du festival : femme(s) forte(s). On est prévenu, les femmes à l’écran vont nous en mettre plein la vue, on se dit que les mecs n’ont qu’à bien se tenir. Mais au fait, une femme forte, c’est quoi ? Début de réponse en provenance d’Amérique latine, en commençant par Breathless Time (Tiempo sin Aire), projeté dans la section "Cinéma de genre : Plus féroces que les mâles", seul film m’ayant laissé, malgré ses belles intentions et quelques moments forts, une impression pour le moins désagréable.

Une femme forte, ce peut être une femme qui refuse son statut de victime. À travers l’histoire d’une mère colombienne décidée à venger sa fille violée et tuée par des paramilitaires, et traquant l’un des coupables jusqu’à Tenerife, les deux réalisateurs espagnols Andrés Luque et Samuel Martin Mateos s’attaquent au difficile sujet de la violence endémique rongeant la Colombie, un peu à la manière dont Dans ses yeux, de Juan José Campanella, évoquait en 2009 les fantômes de la dictature argentine à travers une affaire de viol et de meurtre – et là aussi de vengeance et de réparation.

Grand sujet et, dans les premières minutes, on se prend à espérer un grand film politique, décrivant la mondialisation de l’argent facile, figurée par un Espagnol en apparence irréprochable mais prêt à laisser libre cours à ses bas instincts à la première occasion, pourvu que la distance les couvre. S’engager dans les groupes paramilitaires constituerait un avatar du tourisme postcolonial, la jungle colombienne faisant office de zone de non-droit sur laquelle se projettent les pires fantasmes – armes, force virile, brutalité sexuelle – de mâles occidentaux bodybuildés. À quoi s’ajoutent d’autres espaces fantasmés, sous la forme d’immeubles de luxe avec vue sur les plages de Santa Cruz, matérialisation en toc d’une réussite sociale pour petite bourgeoisie sans horizon existentiel. Ou comment la poursuite des intérêts individuels à court terme peut passer par les pires compromissions, d’autant plus faciles à admettre que la distance permet de dissimuler leurs conséquences.

Complaisance coupable de l'esthétique télévisuelle

Mais la comparaison avec le travail de Campanella ne s’arrête – malheureusement – pas là. Les trois réalisateurs viennent de la télévision, origine commune à laquelle il faut peut-être attribuer la cohabitation entre une vraie maestria technique – la belle succession de panoramiques figurant une longue ellipse, les scènes de jungle oppressantes – et des facilités impardonnables, qui vident méthodiquement le film de sa force. Parmi les excès de complaisance, les grosses ficelles psychologiques – personnages au caractère tracé à coups de truelle – viennent s’ajouter à des scènes dignes des pires sitcoms – les supporters de Tottenham se tombant dans les bras après un penalty marqué, Gonzalo le chic-type-mais-alcolo-repenti face à son verre de whisky – boira ? boira pas ? gros suspense puis gros pschitt. Surtout, une succession de révélations censées arriver en pleine poire du spectateur parvient surtout à le lasser, voire à lui donner le sentiment qu’on joue de manière assez malsaine avec ses émotions. Le tout sous une avalanche de violons et de harpes sirupeux à souhait.

Le spectateur, justement, finit par s’identifier au personnage de Vero, la petite amie sexy-et-un-peu-cruche-mais-avec-un-cœur-gros-comme-ça : Luque et Mateos font manifestement peu de cas de l'intelligence de leur public, pensant le sensibiliser à moindre coût, sans profondeur, à un sujet aux multiples ramifications et qui méritait mieux qu'une déclaration d'intention, certes louable.

Demi-déception mais, astuce du montage, on parlera bientôt du Monstre aux milles têtes, vraie merveille – et autrement subtile – projetée le premier jour (texte ici).

La bande-annonce quand même :

Commentaires