Locarno 2014 - Jour 4 : Le palmarès le plus long

Lassé d’une programmation un brin aguicheuse sur la Piazza Grande, et on le comprend, Antoine Duplan s’en est pris sans détour, vers les derniers jours du 67e festival de Locarno, aux comédies sentimentales, dans un papier joliment intitulé "Il pleut de la mélasse sur la Piazza". Ce que ne nous apprend pas la plume alerte du Monsieur cinoche du quotidien romand Le Temps, c’est ce qu’on doit mettre dans cette catégorie aux limites incertaines et à la définition brumeuse. Et d’ailleurs qu’est-ce qu’on inclut dans un genre ? Grande question qui se doit d’être posée, maintenant, ici-même. Shining est-il un film d’horreur, un thriller paranoïaque ou un chef-d’œuvre de Stanley Kubrick ? La Nuit des morts vivants : film gore, série Z destinée aux Drive-in ou film culte visionnaire ? The Big Sleep, énième film noir ou sombre splendeur de Howard Hawks ? Révoltons-nous contre les catégories au point d'en créer une nouvelle et demandons-nous s’il y avait des films géographiques au Jour 4 de Locarno : des films qui nous parlent d’espace, de territoires, de paysages, de lieux.

Pause (Mathieu Urfer)

À coup sûr, la comédie romantique (!) de Mathieu Urfer, Pause, franc succès de zigomatiques sur la Piazza Grande, pourrait parler de Lausanne, nous la peindre à travers les pérégrinations de Sami, trentenaire chanteur-guitariste-de-country-qui-chante-faux-des-paroles-ridicules-mais-romantiques-et-en-anglais, auquel sa chérie, lassée de se farcir un loser amorphe, propose une pause dans leur relation vieille de quatre ans – seuil critique, paraît-il –, avant d’aller emménager chez son nouveau patron très beau gosse et tuné, cependant que le pas tout jeune partenaire de scène de Sami – André Wilms, qui tient une bonne partie du film sur ses épaules – lui prodigue quelques conseils profonds sur les femmes, entre un accord de guitare, un verre de Bourgogne et une piqure pour sa prostate.

On rit pas mal, on se laisse porter par un scénario malin, on reconnaît quelques bars de la capitale vaudoise, on s’amuse des grognements et des accords de guitare du vieux rocker, présence totalement incongrue dans une maison de retraite aux yeux entièrement rivés sur des matches de Federer, on se réjouit de la morale qui nous dit qu'on peut être un artiste (un peu) raté et pauvre et avoir une jolie copine quand même, mais de Lausanne, point ou presque, ni d'ailleurs de Tessin, pourtant parcouru par la tournée des deux saltimbanques… L’espace n’intéresse manifestement pas Mathieu Urfer, qui préfère la guitare et la cuisine et a promis de nous offrir une Pizza Grande quand il aura ouvert sa pizzeria : chiche ! (Tout lui sera pardonné.)

They Chased me Through Arizona (Matthias Huser)

Au contraire, que d’espace dans They Chased me Through Arizona (Cineasti del Presente), road movie (!!) polono-helvète signé Matthias Huser et mettant en scène le (très) taciturne Leonard, chargé de démonter quelques dizaines de cabines téléphoniques détrônées par le haut-débit, et son chauffeur impromptu Ben, libéré conditionnel pas beaucoup plus causant. Leur point commun : la lecture en cours d’un western déniché par hasard, qui les accompagne dans leur participation au démantèlement d’un monde en train de disparaître.

Les voici donc lancés dans une drôle de balade hypnotique à travers des paysages qui, avec une cabane ici et un pick-up là, nous feraient presque croire que le Texas s'étend devant nos yeux. Comme les buttes-témoins de la Monument Valley qui ornent le salon de Leonard, les cabines dispersées à travers la campagne polonaise témoignent d’un passé quasi-géomorphologique, quand bien même les fils de l’une des dernières victimes analogiques refusent de se laisser déterrer par Bob. C’est comment la Pologne ? Plat.


Pour conclure ce 67e Locarno, on soulignera comment, avec une étonnante et remarquable clairvoyance, le Léopard d’or, dont il n'est pas exclu qu'il batte un record local, voire mondial, de durée pour un vainqueur final, fut justement pronostiqué – quoique non vu – ici, de même que le prix du public .

Le Monde dans l’Objectif, ciné-medium à votre service.

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