Ze place to be in Lauzan'Geles (Le Zinéma, première)

Habitant de Lausanne ou de sa région, cinéphile timide, assumé, convaincu ou enragé, une certaine perplexité s’empare de toi, lorsque tu sors ta carte bleue à la caisse automatique d’un gros pât(h)é, à l’égard du modèle économique t’amenant à engraisser les industriels qui se bousculent le long du processus de production et de diffusion des films, des majors hollywoodiennes aux gros distributeurs-vendeurs de popcorns, en passant par les acteurs à cachets en millions et leurs agents à pourcentages correspondants. Tu te sens parfois assailli par le doute quant au bienfondé qu’il y aurait à t’infliger les éclats de rire sonores et déplacés d’un voisin défendant une conception un brin discutable de l’humour, ou encore les gloussements d’adolescentes venues voir les muscles de Brad Pitt et découvrant trop tard que, chez Terrence Malick, Bradou se sent plutôt d’humeur à jouer de l’orgue entre deux séances d’introspection freudo-existentielle.

Alors bien sûr, te dis-tu, le marché du home cinema te tend les bras : quelques centaines de francs de matériel, du haut débit, et n’en parlons plus, t’auras même le droit de faire du bruit, de répondre au téléphone, d’appuyer sur pause pour aller te chercher une bière. La liberté, la vraie, après toutes ces années d'aliénation.

En même temps, quoique pas convaincu qu’il n’y ait de « vrai cinéma » qu’au cinéma – et ailleurs un faux, une vile contrefaçon –, tu restes friand du rituel de la caisse, du choix de la place, des lumières qui s’éteignent, des derniers murmures… Tu te vois déjà confortablement affalé dans ton canapé mais rongé par le souvenir délicieux de l’obscurité, de la fraîcheur, du (vraiment) grand écran et du son stéréo. Seul devant ton mur, tu ressasses les mains qui se cherchent sur l’accoudoir et les baisers dans le noir, le mal de fesses augmentant avec l’ennui mais aussi la symbiose avec une salle hilare ou terrorisée, le sentiment diffus de te réveiller d’un long et bienheureux sommeil quand les lumières se rallument… Bref, aller au cinoche, t’aimes bien ça, quand même, avoue.

Alors tu te prends à rêver d’une salle tapie dans un recoin de rue, avec quelques grands sièges confortables, un accueil chaleureux et tutoyant pour ta première venue, des tables à l’entrée pour siroter une bière avant et/ou après la séance… Tu imagines, idéaliste que tu es, un projectionniste-à-tout-faire-sauf-les-cappuccinos qui, comme tu te serais trompé d’heure, voudrait bien te passer ton film s’il n’y a personne d’autre dans la salle pour y voir le film prévu. Tu fantasmes sur une programmation refusant une fois pour toutes de céder aux sirènes du blockbuster, de la comédie familiale tous-publics-qui-prend-surtout-le-public-pour-des-ânes, du feel-good movie qui te convainc que tu te sentiras bien d’être un peu plus imbécile, du drame social qui récite son Sartre pour les nuls pour te rappeler ta liberté fondamentale d’être humain parce que tu le vaux bien…

Bref, grand malade que tu es, tu rêves d'un cinéma sympa et de qualité dans ta ville.

Tu rêves pas, y a le Zinéma.

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