L'espace n'est plus ce qu'il était ('Gravity', Alfonso Cuarón)

Certes, on pourra difficilement féliciter Alfonso Cuarón pour la profondeur abyssale de son message. La morale de Gravity tient en quelques vérités choc fleurant bon le zinc, type : dans la vie faut tenir bon, ne pas se laisser abattre, même quand tout va mal, voire vraiment très, très mal et même quand on commence à avoir la désagréable impression que le destin s'acharne - ambiance : ma fille est morte à quatre ans d'une vilaine chute, je suis perdu(e) dans l'espace avec un vieux beau qui me drague au lieu de me sauver la vie, où il ne fait pas que noir mais aussi un froid à faire décamper un ours polaire, des averses de déchets d'un satellite - que ces cons de Russes, pas contents d'avoir perdu la Guerre froide, ont fait sauter à coups de missile - se succèdent tous les quarts d'heure, y a plus d'essence dans le Soyouz abandonné par lesdits Russes dans leur station par ailleurs pourrie et mal isolée contre le incendies et, cerise sur le gâteau, les commandes de la station spatiale chinoise sont en... chinois, forcément - bonjour la mondialisation.

On ne lui reprochera pas non plus d'y être allé de main morte sur les rebondissements. On vient d'en parler, la manière dont le réalisateur-scénariste inflige à peu près toutes les galères possibles à sa pauvre héroïne qui, pour sa première sortie dans l'espace, aura eu droit à la totale - et à sa place, on n'y retournerait pas - peut finir par faire sourire les plus crédules quant à la capacité de la scoumoune à ne plus lâcher un bon client une fois qu'elle le tient. Bref, un film qu'on a vu mille fois ou pas loin - et qu'il convient probablement de ne pas infliger à un astrophysicien qu'on veut garder comme ami, histoire de s'épargner des commentaires sarcastiques. Sauf que...

Sauf qu'il reste la forme et, de ce côté-là, on en prend plein les mirettes. La photo est bien belle mais surtout, par-delà l'extase esthétique et métaphysique du grand vide intersidéral et de la planète Terre tournant doucement sous nos yeux émus ou apparaissant en reflet dans le casque de George Clooney, Cuarón a eu une idée - une seule mais de celles qu'on rentabilise au moins pendant un film : dans l'espace (intersidéral), l'espace (tout court) n'est plus le même.


Il faut s'imaginer qu'aux 360° habituels que parcourt une caméra, engoncée qu'elle est sur un axe lui-même bêtement coincé entre le ciel et la terre - et même si c'est en vérité un peu plus car le cinéma n'a certes pas attendu Cuarón pour regarder ailleurs que devant, derrière et sur les côtés -, se substituent une quasi-infinité d'angles et de directions, permettant quelques plans-séquences ahurissants. La caméra circule, navigue, tourne sans cesse et, pourtant, il y a toujours quelque chose à voir, un objet qui apparaît dans le champ, quand on croyait avoir fait le tour.

Alors, que la jauge d'oxygène de Sandra Bullock soit à 11% ou 98%, que George Clooney meure tout seul dans l'espace - sans avoir droit à un dernier café - ou s'en sorte et nous re-raconte une de ses anecdotes, pour tout dire, on s'en fout presque. On regarde l'espace se démultiplier joyeusement et le mot immensité prendre du sens, de quoi s'occuper les yeux et l'esprit.

Jouissif.


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