P.T. Anderson, la master classe ("The Master" + rétroviseur 2012)

Grâce à Paul Thomas Anderson, 2013 commence sur des bases aussi réjouissantes que 2012, elle-même lancée sur des chapeaux de roue avec le choc Take Shelter, de Jeff Nichols. Qui se retrouve très justement dans tous les Top 10 qui se respectent et qui ont fleuri pendant les fêtes. L'année n'a ensuite pas été un cru exceptionnel, même rythmée par les fulgurants Cosmopolis et Holy Motors. En témoignent les lauréats de l'exercice annuel auquel ce blog n'a pas encore sacrifié, pas mauvais mais pas forcément tous exceptionnels. Et de fait, quand il a fallu s'y coller, autant les trois sus-cités n'ont pas posé de problème, autant leur trouver sept acolytes a demandé un peu de réflexion... Derrière le trio indéboulonnable, donc, tentative de classement basée sur un échantillonnage incomplet :

4/ (exæquo) Adieu Berthe, comédie (sans doute un sérieux handicap pour finir dans un classement de ce type ?) qui m'a fait rire sans interruption pendant une bonne demi-heure, avec l'inventivité visuelle des frères Podalydès à son meilleur (si, si) ;

- Les Bêtes du Sud sauvage, dont j'ai rendu compte pour les Cafés géo et qui oppose violemment les très pour et les très contre ;

- Tabou, dont la première moitié un brin poussive est très vite oubliée grâce à un vrai tour de magie de mise en scène consistant à raconter une magnifique histoire d'amour tragique (pléonasme ?) uniquement à l'aide d'une voix off couvrant les dialogues des personnages (mais pas la musique kitch des années 60 et c'est tant mieux) ;

- Twixt, rapidement évoqué ici, qui n'a peut-être de véritable intérêt que pour les aficionados de Coppola mais il y en a.

8/ (encore exæquo parce que c'est plus drôle) Historias, découvert au FIFF et qui est passé relativement inaperçu en France, alors que j'ai été hypnotisé par la mise en scène de Julia Murat (peut-être aussi par Lisa Favero...) ;

- Le Policier, évoqué sur le site internet du Diplo après son passage à Locarno en 2011 (mais qui n'est sorti en France qu'en 2012 donc ça compte) ;

- Moonrise Kingdom, repêché de dernière minute parce que vu pendant les fêtes : histoire d'amour encore plus bouleversifiante que celle racontée par Miguel Gomes, cette fois entre deux jeunes adolescents.

Mais il faudrait sans doute aussi faire la liste des films que-je-n'ai-pas-vu-mais-qui-auraient-peut-être-fini-dans-mon-top-10-mais-pas-forcément (Les Adieux à la reine, 4h44, Amour, César doit mourir, Faust...).

Et donc, The Master ? D'abord, le film est emmené par Joaquin Phoenix et Philip Seymour Hoffman déchaînés, qui envahissent le 70 mm de deux manières radicalement opposées : le nerveux Phoenix parcourt le cadre de toutes les manières possibles en se contorsionnant, pendant que Hofmann occupe tout le plan comme un monolithe.

Anderson s'attaque avec eux, après la naissance du capitalisme dans l'Ouest américain avec There Will Be Blood, à l'Amérique de l'après-guerre, à travers la rencontre entre Freddie Quell, vétéran du Pacifique totalement allumé et gorgeonnant tout ce qui lui tombe sous la main, huile de moteur comprise, et Lancaster Dodd, un gourou très Ron Hubbardesque prétendant restaurer la paix dans le Monde via l'ouverture de chacun à ses vies antérieures grâce et de pseudo-séances de psychanalyse et autres exercices gentiment délirants. Un point de départ servant de prétexte pour parcourir, plus en profondeur, les pistes ouvertes par TWBB, à commencer par l'espace nord-américain auquel Anderson refait le portrait, de Sans Francisco à Phoenix en passant par Philadelphie, avant une fin pied-de-nez en Angleterre.

Scrutant l'inconscient de ses personnages comme celui de l'Amérique, Anderson réalise le film que, comble de l'inexplicable, Cronenberg n'a pas osé faire avec son triste A Dangerous Method. C'est dense, intense, parfois proche du trop-plein de grandiloquence mais toujours du côté du crédible. Surtout, l'une des plus belles scènes fait disparaître Freddie à moto dans l'horizon brumeux d'un désert, comme disparaissait Clint, sur son cheval, dans le dernier plan de L'Homme des hautes plaines. Et rien que ça, c'est énorme.

Masterpiece.

A voir: Paul Thomas Anderson, The Master, 2012. La bande-annonce :


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