De l'image au son et retour (Locarno 2012-3)

Suite au rappel à l'ordre d'un lecteur, voici un billet gentil. Gentillesse encouragée par deux beaux films sélectionnés dans la Compétition internationale. Même si on se demande ce que faisait là I padroni di casa, série B en carton bénéficiant de financements publics italiens dans tous les sens et tout juste supportable grâce à une flopée d'acteurs en vogue - mais qu'est donc allée faire Valeria Bruni Tedeschi dans cette galère ?! La présence d'un tel film en compétition, alors qu'il aurait tout juste fait un bon produit d'appel sur la Piazza Grande, laisse pantois... Deux excellents films, donc, ont fait prendre un peu de hauteur au Concorso Internazionale: l'amusant-mais-pas-que Berberian Sound Studio (Peter Strickland) et le mystérieux-mais-pas-que La dernière fois que j'ai vu Macao (Joao Pedro Rodrigues et Joao Rui Guerra da Mata)

Quand le son produit des images

Berberian Sound Studio se cache derrière des airs de comédie parodique sur la grande époque italienne des films d'horreur. Gilderoy (Toby Jones), ingénieur du son anglais, atterrit en Italie pour travailler sur un film de sorcières fauché. Il se retrouve coincé entre un réalisateur imbu de son très hypothétique génie et ne pensant qu'à s'envoyer ses actrices, et un producteur tyrannique et omniprésent - pléonasme ?! A la clé un holocauste végétal, âmes sensibles s'abstenir.

La première belle idée du film consiste à ouvrir pour le spectateur, avec en prime une bonne dose de second degré, la boîte noire des effets sonores d'une petite production des années 70 : tranchages de pastèques à gogo, défonçages d'aubergines en pagaille, décapitations de tomates-cerises en veux-tu en voilà et poignardages de choux par dizaines défilent sous nos yeux. Peter Strickland, facétieux, ne nous montre aucune image correspondantes. Il nous laisse deviner, derrière le massacre de légumes, les scènes de torture - on devine qu'il est question de sorcières victimes de l'Inquisition, ressuscitant et venant se venger de vierges et innocentes (?) élèves d'une académie équestre, d'où le titre évocateur Equestrian Vortex.

Parce qu'il ne nous montre aucun extrait du film en train de se construire, le réalisateur anglais se prête à l'exercice fascinant de mettre des images sur cette bande-son improbable, qui peuple progressivement les rêves de Gilderoy et lui font perdre de vue la frontière entre réalité et fiction. Au lieu que le son soit subordonné à l'image, le rapport s'inverse dans ce scénario malin. Les images s'adaptant aux obsessions du personnage et faisant sens d'une manière inattendue, tour à tour drôles et inquiétantes.

Quand les images produisent des sons

Le lendemain, le film portugais A ultima Vez que vi Macau (La dernière fois que j'ai vu Macao), tombait à point nommé. Les deux auteurs, Joao Pedro Rodrigues et Joao Rui Guerra da Mata, se sont attelés au projet exactement inverse et tout aussi stimulant : mettre des sons sur des images glanées dans les rues de Macao. Un scénario minimaliste de film noir sert de prétexte à une série de plans fixes - le fantôme de Chris Marker plane.

Grâce au texte, un surplus de sens vient aux images, enrichies par rapport à leur dénotation immédiate : les chiens errant dans Macao passent pour les réincarnations d'adeptes d'une secte bouddhiste eschatologique, une sirène de police devient la conséquence de coups de feu venant d'être tirés, un homme au téléphone dans l'embrasure d'une porte passe pour un truand donnant des ordres. Chaque plan se retrouve porteur d'un double sens, l'un touristique et l'autre narratif, faisant du film une plongée à deux niveaux dans les profondeurs de Macao.

Deux films sur le cinéma, l'image, le son, les histoires. Deux projets originaux et fascinants. De quoi être gentil, pas de doute.

La bande-annonce de Berberian Sound Studio :


Commentaires

  1. "Berberian Sound Studio" repart bredouille de Locarno mais a tapé dans l’œil de Gilles Esposito (Mad Movies) et Aurélien Ferenczi (Télérama, voir le billet du 7/8 sur son blog).

    "La dernière fois que j'ai vu Macao", qui rafle un drôle de prix spécial, était lui le coup de cœur de Nicolas Bauche (Positif).

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