Un Nolan pas très bath (The Dark Knight Rises)

Christopher Nolan a dû se dire, en écrivant avec son frère le scénario de leur troisième volet batmanien, qu'il s'agissait de nous en mettre plein la vue - ce qui n'est pas un scandale quand on a devant soi un budget de 250 millions de dollars. Ils ont donc mobilisé un belle brochette de personnages en plus de Batman lui-même (dont la sensuelle Catwoman, le très méchant terroriste Bane, le très dévoué et loyal policier Blake) et, pendant pas loin de trois heures, tout ce petit monde se court après dans les rues et le ciel de Gotham-City, saute dans tous les sens, se fout des pains mémorables (les coups de poing de Bane font un peu le même bruit qu'un bloc de béton tombant du cinquième étage) et se tire dessus sans retenue. Les auteurs sont allés chercher Hans Zimmer pour la musique et lui ont proposé de jouer sur le même registre, on s'en prend donc aussi plein les oreilles.

Et c'est parfois bien. Ceux qui, par la bande-annonce alléchés, viennent chercher des sensations fortes, ne devraient pas être trop déçus, au moins pendant la dernière heure. Avant, il faut bien avouer qu'on s'ennuie parfois un brin, même si quelques moments réussis tirent le spectateur de sa torpeur : à cet égard, le terrain de football américain s'écroulant littéralement d'une zone d'en-but à l'autre, derrière les pas du porteur du ballon, est un plan aussi court que génial.

Les habitués apprécieront de retrouver l'ambiance des précédents films de Nolan, dont les racines plongent dans la partie la plus noire de l'univers des comics, mélangée à une sorte de légende orientalo-mystique qui constituait la charpente de Batman Begins. L'inspiration nolanienne puise aussi dans l'univers des jeux vidéo (le saut pour sortir de l'improbable prison où Bruce Wayne passe une bonne partie du film sort tout droit de n'importe quel jeu de plate-forme qui se respecte) et se teinte d'une touche high-tech et futuriste déjà omniprésente dans les deux précédents volets. En somme, un parfait petit kit postmoderne, dans un paysage urbain oppressant, vertical non seulement à la surface mais également dans ses entrailles, puisque la paranoïa des scénaristes fait des égouts de la ville le camp de base des malheurs qui vont la submerger.

Quoi de nouveau, alors, pour clore cette trilogie ? Les deux opus précédents posaient des questions faiblardes sur la justice et la violence sans trop chercher à y répondre - ou alors très timidement à la fin du Dark Night -, préférant jouer la carte du blockbuster pas trop idiot et surtout plus imaginatif que ses concurrents. Inception, sorti entre temps, distillait même une jolie leçon sur l'instabilité des frontières entre réalité et fiction ou réalité et image, relayée par une forme séduisante. Ce troisième tome aurait pu continuer sur le même registre spectaculaire-mais-pas-trop-débile. Sauf que voilà, Nolan a décidé de nous faire comprendre qu'il est devenu un grand garçon, que c'est fini la rigolade et qu'on va voir ce qu'on va voir.

Il a donc des choses à nous dire. Quoi ? A peu près tout et son contraire. Florilège : les riches vraiment très riches et qui ne pensent qu'à s'enrichir, c'est pas bien ; les riches qui redistribuent leur fortune en subventionnant des orphelinats, ça, c'est bien ; les flics qui obéissent bêtement aux ordres dans des situations hors du commun, c'est pas bien (même si c'est un cas de figure compliqué) ; être armé c'est plutôt pas bien mais parfois c'est bien utile, surtout quand les méchants le sont aussi ; ne penser qu'à soi quand tout va mal, c'est pas bien même s'il est vrai qu'on a tous nos raisons et que la vie n'est pas facile pour tout le monde ; les pauvres qui veulent prendre le pouvoir pour se venger des riches, alors là c'est carrément pas bien du tout, et d'ailleurs on voit ce que ça donne : anarchie et violence incontrôlable ; les lois c'est important mais parfois elles se changent en un carcan qui empêche de faire régner la justice (maizalors, faut-il les respecter malgré tout, question ô combien épineuse)...

Bref, quand Burton s'échappait par la triple porte du fantastique, de l'onirique et de l'humour assumé - bien aidé par le jeu de Michael Keaton, Michelle Pfeiffer et Jack Nicholson -, Nolan prétend répondre aux grandes questions qui se posent à l'Amérique, en se prenant horriblement au sérieux - même les vannes sont assénées avec une gravité étouffante - et en bouffant à tous les râteliers sans aucune sorte de scrupule. Il ne critique personne vraiment - sauf les terroristes, catégorie aussi floue que pratique - et laisse au spectateur le soin de choisir, au sein d'une collection hétéroclite, quelles répliques bien senties qui le conforteront dans ses petites certitudes tout en lui donnant l'impression d'avoir un peu réfléchi, à la manière de ces dictons auxquels on peut faire dire à peu près tout et son contraire.

En fait, tout le film repose sur deux grosses confusions : une, esthétique, entre intensité et surcharge ; l'autre, intellectuelle, qui met sur le même plan complexité et chaos, ouverture d'esprit et nihilisme d'adolescent attardé. En prétendant vouloir donner la parole à tout le monde, le film ne la donne finalement à personne et délivre un (non-)message restant à l'état d'un fatras informe, que les scénaristes voudraient faire passer pour de l'intelligence et qui n'est que le niveau zéro de la réflexion.

Et des idiots comme moi vont, par millions, communier et verser leur obole... C'est d'autant plus affligeant qu'on sait depuis longtemps que Batman n'est qu'un parvenu :

Commentaires