Pour pallier les problèmes technico-techniques auxquels le site des Cafés géographiques fait (temporairement !) face, je publie ici un texte destiné à sa rubrique "Des films". Au passage, je m'empresse de conseiller le dernier Coppola, en dépit de critiques biliaires dont il a fait l'objet aux États-Unis comme en France : j'ai été pour ma part envoûté, même sans retrouver la magie et la maestria de Tetro. Plus facile, bien sûr, de s'extasier paresseusement devant The Avengers, parfait produit distillant au gramme près ce qu'il faut pour plaire au maximum de segments de clientèle potentiels (de l'action et des muscles, de la 3D gadget, une starlette, du second degré...) et devant lequel j'avoue n'avoir pas boudé mon plaisir. Le texte :
La
ville nord-américaine, et plus précisément son centre, le downtown, voilà le site des films de super-héros que Hollywood
produit à la chaîne depuis une quinzaine d’années. Spiderman, dans la série de
Sam Raimi, gambade sur les toits de New-York, tissant sa toile sur les
buildings de Forest Hills ; Batman vole, chez Christopher Nolan, entre les
gratte-ciel d’une Gotham-City aux airs de Chicago ; le milliardaire Tony
Stark, alias Iron Man, parcourt les
cieux de Los Angeles.
Ces
derniers temps, c’est au tour de l’équipe des « Vengeurs » de
prévenir, à Manhattan, une incursion extra-terrestre résolument hostile. Ce
groupe hétéroclite réunit à l’écran le facétieux Iron Man, les deux justiciers
décérébrés Thor – également demi-dieu de son état – et Captain America, ainsi
que le monstre vert Hulk, rejoints par quelques renforts aux aventures non
encore portées à l’écran.
De
même que le désert, le canyon et les buttes-témoins ont pu constituer un site
de choix pour y mettre en scène les embuscades d’Indiens ou de bandits du Far West, les gratte-ciels permettent à
leur tour de multiplier les effets : chutes interminables, fenêtres
soufflées par dizaines, écroulements de murs, tout y est dans cette dernière
livraison qui propose une sorte de quintessence du genre. Sans compter les
courses-poursuites, dont les brusques virages du plan urbain orthogonal dictent
le rythme endiablé : soit que le héros tourne brusquement et sème les
créatures lancées à ses trousses ou, au contraire, se retrouve soudainement
face à elles, soit que le réalisateur – en l’occurrence Joss Whedon, dont
l’expérience dans le film d’animation fait ici des merveilles – joue des angles
droits pour multiplier les surgissements inattendus – avec pourtant au passage
une sous-exploitation de la 3D qui laisse pantois.
Avec
des protagonistes capables de voler, escalader les murs et franchir des
distances improbables d’un simple coup de talons, la verticalité et la
géométrie de la ville nord-américaine deviennent des éléments-clés de
définition du genre des films de super héros, comme l’immensité et le paysage
désertique le furent en leur temps pour le western. Car si les pauvres humains
ordinaires demeurent réduits, la plupart du temps, à une mobilité à deux
dimensions passant par la marche ou la voiture, les Vengeurs volent, sautent,
tombent parfois et leur rapport aux lois de la physique ajoute une dimension à
leur compétence spatiale, faisant des gratte-ciel des objets non seulement
observables mais aussi parcourables, appelant de nouvelles manières de les
filmer.
Pour
omniprésent qu’il soit, ce géotype constitué par le downtown et sa skyline ne
constitue toutefois pas la seule représentation sur les écrans de la ville
nord-américaine. Lui est opposée la figure de la small town – par opposition à la big city –, du « patelin », dont Twin Peaks ferait figure
d’idéal-type. C’est dans l’une de ces bourgades, Swan Valley, qu’atterrit Hall
Baltimore – Val Kilmer – auteur d’histoires de sorcières sur le déclin, venu
dédicacer son dernier ouvrage dans une quincaillerie, faute d’une librairie à
disposition.
Ici,
point de foule, point de société mais une « communauté », sur la
destinée de laquelle veille un shérif, prompt à repérer les étrangers peu
recommandables et les empêcher de mettre en péril la quiétude de ses
ouailles : c’est la scène récurrente (Rambo,
A History of Violence) où l’officier
débonnaire prévient l’intrus, le beatnik, qu’ici, vous savez, on est des good people, qui ne demandent rien
d’autre qu’être tranquilles et qui apprécieraient grandement que les étrangers
s’abstiennent de venir troubler la paix sociale, en apportant de la ville la
modernité ou l’anarchie, celle-ci allant avec celle-là.
Et
si la grande ville propose une morphologie favorable au spectaculaire, la
petite se prête quant à elle à la rêverie et à la contemplation, le cas échéant
au fantastique, dont la généalogie est à chercher du côté de Maupassant et
Stocker. Plus exactement, il faut citer Hawthorne, inspirateur de Coppola
depuis ses jeunes années – on aurait tort de se priver du plaisir coupable
consistant à savourer Dementia 13 au
coin du feu, avant pourquoi pas de revoir Dracula.
Sans oublier, bien sûr, Edgar Poe, qui apparaît dans les rêves de Baltimore
pour l’aider à trouver l’inspiration mais aussi à explorer son passé douloureux.
S’il
faut bien constater que cette small town
se trouve désormais résolument connectée au reste du pays par les câbles du web
– permettant des discussions hilarantes entre Baltimore et son envahissante
femme via leurs écrans respectifs – elle n’en demeure pas moins hors du temps
au sens propre comme au figuré – les cadrans du beffroi marquent tous une heure
différente. Hors du temps et tourmentée par un passé trouble, que ne cache pas
la fausse bonhomie du shérif Bobby LaGrange et que rappellent l’hôtel abandonné
et le lac. Lac de l’autre côté duquel de jeunes bikers aux allures de vampires
semblent faire peser une incessante menace sur l’ordre établi de Swan Valley.
Comme
pour le motorcycle boy et son petit frère dans Rusty James, la moto devient, face à l’isolement de Swan Valley et
à son ordre pesant, l’interface mobile vers un possible ailleurs, à la fois
spatial – les rivages du Pacifique dans Rusty
James, l’autre rive du lac, ce qui n’est déjà pas mal, dans Twixt – et temporel ou physiologique –
l’âge adulte, soit l’émancipation de la tutelle patriarcale de la communauté,
ici incarnée par un prêtre aussi strict dans son discours que louche dans ses
intentions.
Pas de lien, bien sûr, entre la mobilisation de
ces deux géotypes presque symétriques et la qualité respective des deux
films : comment comparer, de toute façon, le blockbuster édité par Marvel
– réussi et assumant une bonne part de second degré, ce
qui n’est pas toujours le cas de ce type de produit –, débordant d’images de
synthèse et mené par un casting hors de prix, et l’œuvre pleine de sincérité
d’un géant de Hollywood ayant décidé de financer seul ses derniers projets.
Leur mise en parallèle permet toutefois de souligner une dualité incontournable
de l’espace nord-américain et ses représentations. Cette dualité met en regard
la ville dense où se jouent – peut-être moins, certes, que dans les centres
européens – la diversité sociale et la modernité, et la bourgade où règne un
ordre sclérosé, où rôdent des fantômes d’un passé qu’on voudrait oublier et,
surtout, où les personnages les plus inquiétants ne sont pas forcément ceux
qu’on croit.
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