Souvenirs du FIFF 2012 (1)

Sur les six films vus dans la compétition internationale fribourgeoise, difficile d’établir un classement. Cinq ex-aequo originaux, maîtrisés, séduisants, sérieux candidats pour le Regard d’or. Tous, donc, sauf un, bon dernier de mon classement, sans aucune hésitation. Faute de vainqueur désigné par le jury constitué par moi-même, j’avais donc quand même un vaincu, et même à plate couture. Il a gagné.

J’ai vu Never too late, c’est son titre, le premier jour. Je me suis dit en sortant que j’allais souffrir s’il n’y avait rien d’autre à se mettre sous la dent que ce genre de bêtes à festival, qui donnent l’impression de revendiquer à corps et à cris leur appartenance au cinéma d’auteur en accumulant les signes de l’œuvre d’art profonde et sophistiquée : introspection, contemplation, circonvolutions… Ennui.

Alors oui, forcément, quand on a vingt ans, qu’on est israélien, qu’on répond au doux nom de Herzl et qu’on a un papa qui s’appelle Israël, je comprends qu’on se fasse, comme le personnage principal du film d'Ido Fluk, quelques nœuds dans la tête. Résultat : exil post-adolescent en Amérique du Sud, avec à la clef une aventure prolongée avec une Australienne goy et pas de nouvelles à la famille. Et voilà que le papa, qui paraît-il-mais-on-n'est-pas-sûr, ne voyait pas d’un très bon œil le départ de son fumiste de fiston à l’autre bout du monde, passe l’arme à gauche sans crier gare. Quelques années après, retour du Herzl, fauché, à la maison, et début du film : ambiance introspection, où suis-je, où vais-je, que sont-ce que les racines et pourquoi faut-il qu’on soit une génération sacrifiée et sans repères, sans lieux où se sentir chez soi, pourquoi est-ce que la vie c’est si compliqué

Sont au rendez-vous les longues scènes silencieuses, les dialogues sans rythme et sans fin entre Herzl et des hallucinations du papa décédé, les questions sans réponses et les remises en cause brutales et profondes – du type : et si, en fait, mon papa m’aimait vraiment beaucoup, après tout, me serais-je totalement fourvoyé dans mon aveuglement égoïste, qui était vraiment mon père derrière ses airs de VRP mal sapé, etc. Le film réussit l’exploit d’être très bavard alors que le personnage principal ne décroche quasiment pas un mot.

C’est d’autant plus dommage pour le lauréat d’un prix qui s’appelle le Regard d’or, alors qu’il y avait au moins un film faisant de l’image à la fois un moteur de l’intrigue, un enjeu esthétique et un objet d’investigation, notamment en y incorporant de la photo : Des Histoires qui n’existentque lorsque l’on s’en souvient, de la Brésilienne Julia Murat – qui repart tout de même avec plusieurs récompenses, dont le Talent Tape Award. On commence, en une série de longs plans fixes, par suivre quelques moments « marquants » – la messe, le repas pris ensemble – de la journée d’un village reculé, comptant onze habitants – cinq femmes et six hommes dont un prêtre – âgés à vue de nez de soixante-dix à quatre-vingt-dix ans, village dans lequel personne n’est mort depuis plus de trente ans. Après ce premier round d’observation, l’inquiétude née du film de la veille ressurgit : voilà que pour seule récompense de sa patience, le spectateur se voit resservir la même scène filmée sous des angles différents – mais au même rythme.

Alors que je me demandais si j’aurais droit à une troisième ration et si la semaine n’allait pas être très, très longue, a surgi de la forêt tropicale une très jolie jeune fille équipée de toutes sortes d’appareils photo. Alors, par petites touches et sans en avoir l’air, cette intrusion aussi soudaine qu’imprévue met un discret bordel dans l’ordre quasi-géomorphologique sur lequel veillait le prêtre, pas très progressiste. La caméra, d’immobile, se met à ondoyer, hésite, s’arrête à nouveau et repart. La réalisatrice met en images l’évolution inattendue des esprits et capte des moments qui nous montrent comment, en dépit d’incompréhensions et de différences irréductibles, les deux générations finissent par s’apporter mutuellement.

C’est intelligent, beau, émouvant. C’est une merveille. Qui sort en France le 18 juillet.

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