J’ai lu avec bonheur un bel ouvrage collectif sorti en 2006, au sous-titre alléchant : "Phobies sociales dans le cinéma fantastique américain". Laurent Guido, un voisin professeur à l’UNIL, a réuni onze autres auteurs – dont un bizarrement absent de la page de présentation en fin d’ouvrage – doctorants, chercheurs et enseignants-chercheurs, autour d’un sujet passionnant : que nous disent les films fantastiques – suivant une acception large, incluant par exemple Starship Troopers et Le Seigneur des anneaux – sur les angoisses de l’Amérique pré et post-reaganienne ?
Réponse : bien des choses, impossibles à toutes résumer ici. On peut tout de même retenir deux thématiques bien représentées dans l’ensemble de l’ouvrage, témoignant d’ailleurs de l’unité des contributions, en dépit des particularités propres à chacune.
La production hollywoodienne regorge, pour commencer, de films technophobes – Rambo, Terminator, L’Homme invisible, Le Seigneur des anneaux, pour n’en citer que quelques-uns –, témoignant d’une angoisse sans cesse renouvelée face aux avancées technologiques, de la radio à internet, en passant par les robots. Rachel Noël mène, sur ce thème, une passionnante réflexion sur les deux versions de The Stepford Wives – réalisées en 1975 et 2004 et adaptées du roman signé en 1972 par Ira Levin, l’auteure de Rosemary’s Baby. Le film met en scène une paisible banlieue middle-class où les hommes complotent dans le but de remplacer leurs femmes par des robots plus sexys et obéissants, c’est-à-dire plus féminins – le rêve, n'est-ce pas chérie ?! Un intérêt de la comparaison entre les deux versions tient au brouillage, dans le deuxième opus, du message féministe contenu dans le premier, puisque les femmes y sont désormais tenues pour en partie responsables de leur sort, tandis que l’héroïne est sauvée par son mari. Comprendre : féministes irresponsables, heureusement que les hommes sont là pour vous tirer du mauvais pas dans lequel vous vous êtes mises en cherchant à jouer aux hommes. (Notons au passage que dans les deux cas, s'opposent New-York, ville propice à l’épanouissement de l’héroïne et plus largement aux revendications des minorités, et la banlieue de Stepford où elle se retrouve confinée dans l’espace domestique et son rôle d’épouse et mère.)
On retrouve cette mise en garde contre l’hubris des revendications féministes – et son corollaire, la perte de repères des hommes face à cette terrifiante agression castratrice – dans Attack of the 50 Foot Woman et The Incredible Shrinking Man, analysés par Mireille Breton.
Ce lien entre technophobie et genre n’est pas anodin et on le voit réapparaître dans la contribution de Charles-Antoine Courcoux. Celui-ci montre, à travers les exemples de Terminator 3 – souvenez-vous : la blonde pulpeuse qui roule en Porsche mais est en réalité un très méchant T-X, soupir… – et I-Robot, que l'effroi suscité par le progrès technique se décline bien souvent de concert avec une peur de la femme capable de s’affirmer et, plus largement, de reproduire. En somme, se dessine l’idée d’une contradiction indépassable, mise en scène aussi par pas mal de westerns, entre affirmation de la virilité et progrès socio-technique.
Il n’y a qu’un pas de cette peur/incompréhension de la femme à la question de l’altérité, deuxième grand thème du livre. Comme le montrent plusieurs auteurs, la peur de l’Autre est au cœur du cinéma fantastique nord-américain, qu’elle se manifeste face à une créature gigantesque venue d’un autre âge – King Kong, monstre freudien étudié par François Bovier –, à une figure de l’altérité basée sur quelques oppositions sémiotiques simples comme la pâleur et les grandes dents pointues – Vincent Verselle analyse des traitements récents et plus "sophistiqués" du vampire – ou encore en lien avec la culpabilité plus ou moins refoulée du massacre fondateur des Amérindiens. Sur ce dernier point, Alain Boillat propose un fascinant parallèle entre la justification de la conquête de l’Ouest par déshumanisation de l’Indien dans les westerns et deux films de Carpenter : The Fog (1980) joue la carte de la culpabilité en mettant en scène des fantômes venus se venger d’une petite communauté californienne qui a coulé leur bateau pour s’approprier leur fortune, tandis que Ghost of Mars (2001) assume une posture expansionniste dans laquelle Carpenter répond aux premiers occupants de Mars, qui tentent de repousser les envahisseurs humains, que « ce n’est plus leur planète » un point, c’est tout.
À l’opposé, Dick Tomasovic s’intéresse au message d'ouverture distillé par les deux premiers volets de X-Men réalisés par Brian Singer. La question des minorités et de leur insertion dans la société y est envisagée du point de vue de ces mêmes minorités et rappelle, nous dit l’auteur, les films d’un maître du genre fantastique et chantre de la tolérance de l’Autre, Jack Arnold – comment ça, pauvre lecteur égaré, tu n’as pas vu It Came from Outer Space, ni Tarantula, ni même Monster on the Campus ? Repens-toi, il n'est jamais trop tard pour rentrer dans le droit chemin.
Juste par mauvais esprit, je termine par une contribution qui m’a laissé perplexe – et à laquelle je consacrerai peut-être un traitement privilégié. Sylvestre Meininger y propose une lecture très fouillée de Starship Troopers, aboutissant à l’idée que, en gros, Verhoeven se livre à double jeu très malhonnête : satisfaire un public d'ignares amateurs de baston et d’effets spéciaux, tout en adressant des clins d’œil entendus aux happy few cinéphiles capables de comprendre le second degré et les références ironiques à la culture de masse. Concernant des genres – fantastique, horreur, science-fiction – où l’autoréférence et la parodie font presque figure de passages obligés, le reproche tient du procès d’intention et peut difficilement plus mal tomber. Voire, sur la question plus large des publics et de la réception, je me suis demandé qui était le plus réactionnaire entre l’accusé et son délateur, qui postule la bêtise et l'ignorance d'une large part de l'audience.
N’empêche, le texte est à l’image du reste de l’ouvrage en cela qu’il stimule la réflexion et, surtout, propose une plongée très en profondeur dans un cinéma pas souvent mis à l’honneur, bien qu’il regorge de pistes de réflexion sur les évolutions des sociétés occidentales.
À lire : Laurent Guido (dir.), 2006, Les Peurs de Hollywood, Lausanne : Anthropos, 276 p.
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