Séïsme parisien ("Donoma")

La veille de Noël, quelques minutes après la demi-déception du dernier Cronenberg et bien décidé à continuer à me venger de plusieurs semaines de relégation en dehors des salles obscures, je me dis que je vais aller voir un joyeux film de bande, une sorte de Goût des autres underground, objet mal identifié et radicalement en marge des circuits de distribution habituels : Donoma. Me voilà donc rue Saint André des Arts, autant dire en sécurité dans cet écrin de la Rive Gauche. Tu parles, j’en ai pris plein la tronche. En même temps, qu’est-ce que c’était bon.

C’était bon parce que personne ne ment. Les acteurs, en quasi-improvisation permanente, laissent libre cours à une parole non calculée, parfois maladroite mais authentique, témoignant d’une difficulté à communiquer qui donne des frissons et rappelle Kechiche, tant chez celui-ci aussi la parole sert moins à comprendre et se faire comprendre qu’à mettre des beignes, à éviter d'en recevoir et plus largement à montrer/faire croire qu'on est le plus fort. Il faut la patience infinie d’une psychologue pour que la jeune Salma sorte (un peu) de sa carapace et parle librement de sa sœur malade et de son petit copain Dacio qui joue aux durs. Et comme parler ne marche pas, on change de langue – la prof d’espagnol dans son conflit sans fin avec un cancre arrogant, le même Dacio – ou, carrément, on ne se parle pas, comme l'ingénue Chris, qui rencontre le beau Dama sur un quai de métro, dans l’objectif de son appareil photo, et lui propose une relation sans parole, condamnée à exploser dès que celle-ci réapparaîtra. Incommunicabilité, impossibilité de se mettre à la place de l’autre, imbrication de la séduction et des rapports de pouvoir, tout est là, sans fard.

C’était bon aussi et surtout parce que Carrenard, contrairement à Klapisch, prend le métro. Au label 100% classe moyenne branchouille de Paris, se substitue un Paris de la diversité, brassage de couleurs et de classes sociales qui bouillonnent dans le métro et le RER, omniprésents dans le film. Loin des cafés de la place de la Sorbonne, les adolescents filmés par Carrenard font passer le temps dans les gares, les escaliers à l’abri des regards, les rames de RER, les photomatons.

Au-delà de la diversité de ses habitants, le film nous montre ainsi une toute autre ville, filmée au hasard de plans rapprochés, sans ses lieux emblématiques, attendus, incontournables et ici ignorés. Il s'empare à leur place d’espaces interstitiels, constituant une large zone d’ombre du cinéma français. Et pour ceux qui n’auraient toujours pas compris qu’il est possible de filmer autre chose et autrement, dans ces micros-espaces du quotidien, le cadre explose littéralement, envoyant balader règles des 180° et des 30° - les personnages se font rarement face, en tout état de cause -, passant sans crier gare du flou au net, multipliant les acrobaties et, en un mot, traduisant par l'incertitude de la forme l'indétermination de la réalité dépeinte.

L’énergie de Carrenard vient manifestement des tripes et semble prête à tout balayer sur son passage. Quelque chose d'un Peter Watkins, lui aussi amateur de dialogues et d’images qui font mouche parce qu’ils ne trichent pas et de spontanéité jusqu’à l’équilibrisme, compensée par une construction millimétrée. Rafraîchissant, c'est le moins qu'on puisse dire.


À voir (vite) : Djinn Carrenard, 2011, Donoma, France.

À parcourir : le site du film.

À lire : critique du film et interview du réalisateur dans les Cahiers du cinéma de novembre.

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