From Locarno with love

A tout seigneur tout honneur: c'est à Locarno qu'est née l'idée de ce blog, le festival au gros matou tacheté va donc prendre beaucoup de place dans les premiers messages (avec la très ferme intention de récidiver dans un an!), au fur et à mesure que je mettrai sur papier mes impressions de ces dix jours.

Ceux qui voudraient comprendre dans les moindres détails l'organisation de l'événement trouveront sur la page "Locarno, visite guidée" une petite présentation des différents événements qui cohabitent dans la ville du Tessin, ainsi que le palmarès de cette année.

Puis, pour commencer ce blog, voici mes premiers sentiments, à une journée du départ.

1) Les projections sur la Piazza Grande sont un vrai régal en termes d'ambiance - il faut s'imaginer sept ou huit mille personnes sous les étoiles (ou le déluge pour l'ouverture...), toutes face à un écran de 18x24 mètres, cernés par des stands où la bière coule à flots et les glaces font les yeux doux aux amateurs.

2) Une fois passé l'effet magique procuré par le lieu, la dure réalité reprend le dessus avec une programmation pour le moins inégale. S'il a plu des cordes le premier soir, c'est parce que les dieux du cinéma ont voulu punir les pauvres pécheurs venus, dans leur grande vanité, s'agglutiner devant Super 8, navet bourré d'OGM et de pesticides, dont il faudra bien tenter de déterminer, dans un prochain billet, comment il a pu être accueilli aussi favorablement par les critiques français (sauf Télérama, qui l'a raisonnablement dégommé, tout n'est pas perdu). Je dis inégale parce qu'on a aussi vu, entre autres belles choses, le terriblement séduisant Headhunters, un thriller venu du froid norvégien qui est mon favori pour le prix du public.

3) Reste, loin de la Piazza, le plaisir parfois vertigineux d'aligner les films comme on enfile des perles avec trois, quatre, cinq projections par jour, pour un total de trente-cinq en ce qui me concerne. Avec des risques d'overdose, l'abus d'images pouvant nuire sérieusement au plaisir et menaçant en permanence de fausser le jugement: il y a certains films qui m'ont pas mal ennuyé mais peut-être simplement parce que je les ai vus à un moment défavorable, trop tôt, trop tard, après un chef-d’œuvre ou un navet m'ayant lavé le cerveau. Ce qui tend finalement à transformer le festival en une sorte d'exercice d'introspection: suis-je suffisamment objectif, trop fatigué, capable de me concentrer, lassé ou autre? Bref, disons que ça change des exigences de la série B le samedi soir sous la couette.

4) De nombreuses découvertes, donc, comme le magnifique Another Earth, de Mike Cahill, fable sur le droit à une deuxième chance qui m'a complètement bouleversé, de très loin mon favori pour le Léopard d'or, le très dur et très beau Hashoter de Nadav Lapid, sur les déchirures de la société israélienne, le sidérant Combat des Reines, occasion de découvrir une pratique, les combats de vaches valaisannes, mais surtout un réalisateur très talentueux, Nicolas Steiner, engagé dans la sélection "Appellations Suisse". En somme, de nombreux billets en perspective.

5) Pour finir, deux remarques:
  • D'abord, le taux de litres d'hémoglobine à la minute est assez impressionnant (l'emportant largement sur le sexe, pourtant bien représenté) et s'accompagne d'une cruauté certaine, en particulier dirigée vers soi-même: entre le service de traumatologie de Tel-Aviv filmé dans le documentaire Carte blanche, les abattoirs pour humains de l'apocalyptique Hell, les accidents de voiture de Headhunters et Another Earth, la grève de la faim mortelle de Crulic et les oreilles découpées de Dernière Séance, et j'en passe, il y a de quoi se demander si les organisateurs n'ont pas la conscience très sérieusement taraudée par quelques actions aussi horribles qu'inavouables, au point d'organiser de gigantesques séances d’auto-flagellation collective.
  • L'autre tendance, qui peut s'expliquer par la jeunesse de beaucoup des réalisateurs présents (?), est à l'initiatique: que l'on s'ennuie ferme dans les déserts tibétains (The Sun beaten Path), les parcs tokyoïtes (Tokyo Koen), les montagnes géorgiennes (The loneliest Planet), un lycée nord-américain (Terri) ou les forêts enneigées suisses (Silberwald), on apprend et l'on se transforme, parfois physiquement et souvent par l'intermédiaire symbolique du paysage et son expérience sensuelle. Ce qui donne un cinéma de la mue qui est souvent émouvant et parfois un peu longuet, lorsque l'ennui des personnages menace de déteindre sur le spectateur.

Voilà pour le premier étage de la fusée, qui quittera l'atmosphère dans les prochains jours. Je vais adopter comme politique de parler des films qui m'ont plu et/ou dérangé mais je me réserve le droit, à titre dérogatoire, de soulager occasionnellement ma frustration. Oui, je l'avoue, j'ai déjà quelques victimes expiatoires dans le viseur.

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